Par Tom Orrell, membre de Publish What You Fund, et Joni Hillman, membre du Secrétariat de l’IITA et de Development Initiatives
Avez-vous déjà pris le train en Espagne ? Conduit de Belfast à Dublin ? Ou encore emporté le mauvais adaptateur lors d’un voyage d’affaires ? Si c’est le cas, vous avez peut-être remarqué que les normes sont tenaces. En effet, l’écartement des rails en Espagne est différent du reste de l’Europe depuis 1845. Il a fallu 30 ans à la République d’Irlande pour abandonner le mille terrestre au profit du kilomètre. Enfin, le Libéria, la Guinée et la Sierra Leone ont beau être voisins, chacun a sa propre forme de prise électrique.
Les normes de données sont moins visibles, mais connaissent le même problème : l’existence de différentes normes signifie que la même chose peut être décrite de plusieurs manières, rarement compatibles. Prenons un exemple simple : combien y a-t-il de petits États insulaires dans le monde ? Cette question n’a pas une seule, mais au moins six réponses différentes, allant de 23 à 50, en fonction de la personne interrogée.
1 : Ces diapositives de la présentation de Conrad Zellmann montrent la variété des définitions de l’expression « petit État insulaire » données par les grandes institutions internationales.
Le 28 octobre 2015, nous avons co-organisé un atelier sur les normes communes dans le cadre dusommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert (OGP15) à Mexico. Lors de cet atelier, animé par Martin Tisné, de Omidyar Network, Ania Calderon, du gouvernement mexicain, Georg Neumann, de l’Open Contracting Partnership (le partenariat pour la transparence de la commande publique), Conrad Zellmann, de Development Initiatives, et Rupert Simons, de Publish What You Fund ont abordé au cours de conférences instructives la valeur de l’harmonisation des normes pour les créateurs de normes de données ouvertes ainsi que pour les producteurs et les utilisateurs de ces données.
Il s’agissait de notre première participation à ce sommet, et nous avons été frappés par la nécessité d’un dialogue entre les principaux créateurs de normes de données ouvertes (notamment l’IITA, l’Open Contracting Partnership ou le Langage d’échange humanitaire [HXL]), les producteurs et les utilisateurs de données ouvertes. L’évolution importante des politiques au niveau international en 2015 a rendu ce dialogue d’autant plus nécessaire. En effet, dans le cadre du renouvellement du programme de développement international et de l’élaboration des objectifs de développement durable (ODD), un phénomène rare a eu lieu : l’apparition d’un consensus entre de multiples parties prenantes des secteurs des politiques publiques et des données ouvertes, qui reconnaissent l’importance de ne pas se contenter de produire de meilleures données en quantités plus importantes et de créer de meilleures informations, afin de guider les efforts en matière d’élaboration de politiques et d’établissement de rapports à l’avenir.
L’harmonisation des normes relatives aux données ouvertes entre les différents secteurs politiques n’est que l’une des composantes des efforts plus vastes pour la création de meilleures informations, mais c’est l’une des plus importantes. Sa valeur a été reconnue au plus haut niveau de la communauté internationale du développement, et le Programme d’action d’Addis-Abeba mentionne la nécessité de l’interopérabilité des normes de données (paragraphe 128). En outre, dans le contexte de la révolution des données, l’importance de l’interopérabilité et de la compatibilité des normes de données a été inscrite parmi les principes fondamentaux relatifs aux données ouvertes de la nouvelle Charte internationale sur les données ouvertes (principe 4).
Lors de l’atelier de la semaine dernière, Georg a expliqué ces principes à l’aide d’un exemple plus concret : les données harmonisées sont « essentielles pour un très grand nombre d’ODD, car elles nous aident à suivre le parcours de l’argent au travers des contrats, des aides et des budgets ». Ainsi, Beata Lisowska, scientifique des données travaillant sur l’harmonisation des normes de données pour Development Initiatives, a récemment schématisé les liens entre les définitions des secteurs données par la classification des fonctions des administrations publiques (COFOG), utilisée par le système des Nations Unies, et par le système de notification des pays créanciers (SNPC), utilisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques. Ces correspondances sont d’autant plus intéressantes que, si des liens étaient établis entre celles-ci et les indicateurs relatifs aux ODD, elles pourraient permettre de déterminer, à terme, si les fonds consacrés à la réalisation des ODD sont suffisants.
Maintenant que la nécessité de l’interopérabilité fait consensus, il est essentiel que le dialogue entre groupes d’intérêt et secteurs politiques parvienne à un consensus concernant le moyen d’y parvenir. Comme le dit Conrad, « nous voulons être capables de réaliser des conversions entre les normes existantes afin d’obtenir des données comparables et d’utiliser les mêmes termes pour parler des domaines clés, c’est-à-dire afin de mettre en place l’interopérabilité des données ». Cela signifie que les créateurs de normes et les producteurs et utilisateurs de données doivent tous prendre part à un dialogue commun. Revenant sur ses propres expériences, Ania a raconté : « au Mexique, nous avons créé un partenariat entre les institutions nationales de statistique et la communauté des données ouvertes afin de faciliter l’harmonisation des données ». Étant donné la variété des méthodologies, des objectifs et des mesures d’incitation existants, même au sein d’un seul gouvernement, ceci n’est pas un mince exploit. L’aspect politique inhérent à l’harmonisation des normes de données a été presque immédiatement soulevé lors de l’atelier. L’une des premières questions du public était en effet : « Comment dépasser les enjeux politiques pour harmoniser les normes de données ? ». En réponse à cette question, Rupert a souligné que la seule manière d’atteindre cet objectif est de « constituer une coalition de parties qui bénéficient de l’interopérabilité ». Pour ce faire, il est essentiel de favoriser l’apparition d’un nouveau consensus mondial.
La reconnaissance de la nécessité de l’interopérabilité des normes de données par la Charte internationale sur les données ouvertes et le Programme d’action d’Addis-Abeba offre aux organismes intergouvernementaux et multilatéraux, aux gouvernements, aux entreprises et aux organisations de la société civile une occasion unique d’harmoniser leurs dialogues. Comme l’a dit si éloquemment Martin, « une fois harmonisées, les données chantent ». Le défi qui se pose est donc que les créateurs de normes, les producteurs et les utilisateurs de données ouvertes parviennent à s’accorder pour que les données chantent.